L’arrivée de Shein au BHV Marais de Paris aurait dû être un coup marketing majeur pour son CEO, Frédéric Merlin. Au lieu de cela, elle s’est transformée en fiasco de communication retentissant sur les réseaux sociaux. Annoncée en fanfare début octobre 2025, l’implantation du géant chinois de l’ultra fast-fashion dans ce grand magasin parisien a immédiatement suscité une vive polémique.
Et comme si cela ne suffisait pas, une nouvelle affaire choquante (la vente de poupées à caractère pédop*rnographique sur son site) est venue couronner le tout juste avant l’ouverture du magasin. Retour sur ce tollé, largement alimenté en ligne, qui a entouré Shein ces dernières semaines.
Un magasin physique qui déclenche la polémique dès l’annonce
Dès l’officialisation le 1er octobre 2025 du partenariat entre Shein et la Société des Grands Magasins (propriétaire du BHV), les réseaux sociaux se sont enflammés. En l’espace de quelques jours, on a dénombré près de 230 000 publications en français autour de la marque, soit presque le double de l’activité habituelle la concernant, d’après l’outil de veille Visibrain. Le premier pic d’indignation est survenu dans les tout premiers jours d’octobre, juste après l’annonce de l’ouverture de six boutiques Shein en France, dont la principale au BHV Marais.
À lui seul, ce choc initial a généré plus de 10 000 posts et commentaires en une semaine, révélant l’ampleur d’une colère transversale : industriels de la mode, responsables politiques, consommateurs et ONG écologistes ont exprimé un rejet quasi unanime de l’arrivée de Shein.

On assiste ainsi à une véritable levée de boucliers : plusieurs marques françaises ont claqué la porte des Galeries Lafayette affiliées ou du BHV pour protester contre ce partenariat jugé “indécent”. Par exemple, Le Slip Français, AIME ou d’autres labels ont annoncé leur retrait des rayons du BHV Marais dans la foulée de l’annonce. Le groupe Galeries Lafayette, opposé à la venue de Shein, est même allé jusqu’à rompre son partenariat avec la SGM (propriétaire du BHV) et à débaptiser sept magasins affiliés en province pour marquer sa désapprobation.
Disneyland Paris a également annulé in extremis une animation de Noël et une boutique éphémère qui étaient prévues au BHV, estimant que « les conditions ne sont plus réunies » pour mener ce projet dans le contexte actuel. Sur les réseaux, de nombreuses personnalités ont embrayé le pas de cette fronde : des figures de tous bords politiques (ministres, députés, maires…) ont publié des messages cinglants pour fustiger l’implantation de Shein.
Même le ministre de l’Économie a qualifié certaines pratiques de la marque d’« inacceptables » et agité la menace d’une interdiction de la plateforme en France en cas de récidive. Bref, on a connu meilleur accueil pour l’ouverture d’une boutique. Shein a réussi l’exploit de cristalliser un front commun d’opposition avant même d’avoir ouvert ses rayons.

Scandale des poupées : un bad buzz mondial avant l’ouverture
Alors que la tempête commençait tout juste à retomber, Shein a été rattrapé par une polémique encore plus grave fin octobre. La découverte de poupées sexuelles à apparence enfantine vendues sur son site a provoqué un nouveau tollé à partir du 1er novembre 2025.
L’affaire a explosé en quelques heures : la Répression des fraudes (DGCCRF) a saisi le procureur de Paris et le régulateur numérique Arcom, et Shein s’est empressé de supprimer les objets incriminés en reconnaissant les faits . Sur les réseaux sociaux, l’indignation est montée d’un cran et a franchi les frontières de l’Hexagone.
Un second pic de bad buzz a été enregistré le 4 novembre, avec près de 25 000 publications en une seule journée à propos de Shein. Instagram s’est imposé comme le principal terrain d’expression de cette colère planétaire, devant X (Twitter) et LinkedIn.

D’après Visibrain, environ 34% des posts Instagram traitant de cette nouvelle polémique étaient rédigés en français, mais 66% l’étaient dans d’autres langues, signe que le scandale a eu un écho international. On comptait notamment de nombreuses réactions en anglais, en espagnol et en portugais, chaque langue représentant autour de 19 à 22% des publications, ainsi qu’en allemand. Des médias étrangers se sont emparés du sujet, et une pétition en ligne « Paris mérite mieux que Shein » a récolté plus de 100 000 signatures pour s’opposer à l’arrivée de l’enseigne chinoise en France.
Il faut dire que le timing de cette controverse était désastreux pour l’image de Shein : à quelques jours de l’ouverture de sa boutique physique, voir son nom associé à du contenu pédopornographique a indigné au-delà du cercle des habituels détracteurs de la fast-fashion. Le gouvernement français, déjà très critique, a durci le ton.
Une commission parlementaire a convoqué les dirigeants de Shein pour qu’ils s’expliquent sous quinzaine, et certains responsables ont rappelé qu’un commerçant physique ayant mis en vente un tel objet aurait fait l’objet d’une fermeture administrative immédiate. En clair, la marque joue gros et se retrouve plus que jamais dans le viseur des autorités.

Silence du BHV et communication sous haute tension
Face à cette avalanche de critiques en ligne, la stratégie de communication du BHV Marais a été pour le moins prudente. Officiellement, le grand magasin est resté silencieux sur ses réseaux sociaux : aucune publication pour annoncer l’arrivée de Shein, pas un mot sur Facebook ou Instagram à ce sujet. La seule communication visible côté BHV s’est limitée à sa vitrine physique, rue de Rivoli, où trônait une énorme affiche annonçant l’ouverture prochaine.
Cette affiche, présentant Frédéric Merlin (PDG de SGM, propriétaire du BHV) et Donald Tang (président de Shein) tout sourire, accompagnés du slogan un brin provocateur « L’affiche qu’on n’aurait pas dû faire » n’est certainement pas passée inaperçue. Beaucoup y ont vu une provocation assumée, compte tenu du contexte explosif. « On a compris qu’ils voulaient surfer sur la polémique pour faire un peu de com’, mais […] je ne suis pas certaine que ce soit une super stratégie », commentait par exemple une passante interloquée devant le BHV . Ce choix audacieux de « jouer » avec la polémique sur la façade même du magasin a suscité des réactions mitigées sur les réseaux : certains y ont vu de l’arrogance, voire un manque de morale, d’autres y ont simplement perçu une tentative maladroite de dédramatiser la situation.

Parallèlement, les dirigeants du BHV se sont exprimés dans les médias pour tenter d’éteindre l’incendie. Frédéric Merlin s’est montré en première ligne pour défendre son partenariat avec Shein, assurant notamment que « les vêtements que nous allons vendre n’exploitent pas des travailleurs ou des enfants ». De son côté, Karl-Stéphane Cottendin, le directeur général du BHV, a multiplié les interventions (BFM, LCI, W9…) afin de justifier le maintien du projet malgré le scandale. Sur LCI, il a condamné « très fermement » la mise en vente de ces produits « abjects » par Shein, tout en précisant que « le BHV travaille avec Shein, pas avec leur marketplace ».
Autrement dit, les articles controversés provenaient de vendeurs tiers sur la plateforme en ligne, et aucun produit issu de la marketplace internationale de Shein ne sera vendu au BHV. Le BHV promet que seuls les articles conformes et sélectionnés de la marque seront disponibles dans son espace de 1 000 m² au 6ᵉ étage, loin des dérives du e-commerce. Cette ligne de défense (se distancier des pratiques en ligne de Shein tout en maintenant le partenariat commercial) était un exercice d’équilibriste délicat (et franchement pas très convainquant).
Sur les réseaux sociaux, ces prises de parole n’ont pas fait cesser le débat, bien au contraire. Les déclarations de Merlin et Cottendin, largement relayées en extraits vidéo, ont elles aussi été scrutées et commentées. Nombre d’internautes sont restés sceptiques, voire cinglants envers le BHV, accusé de fermer les yeux pour profiter de l’attrait de Shein. En réponse, certains fans de la marque (notamment de jeunes consommateurs) ont défendu Shein bec et ongles, arguant de ses prix imbattables et de la possibilité de « tester en vrai » les vêtements en magasin.
Mais ces quelques voix favorables ont été noyées dans un océan de critiques négatives. Shein, déjà habitué aux polémiques, se retrouve ici face à un véritable casse-tête de relations publiques. Non seulement son ouverture parisienne (censée être une opération séduction) s’est muée en crise, mais ce bad buzz est devenu un cas d’école sur la puissance des réseaux sociaux.
Entre rejet presque unanime des acteurs traditionnels et indignation du grand public en ligne, la marque aura fort à faire pour redorer son blason… et le BHV aussi, pour reconquérir la confiance de ses clients après cette déferlante peu commune.
Pour conclure, l’arrivée de Shein au BHV Marais aura fait beaucoup parler d’elle, mais pas vraiment de la manière espérée. Ce qui devait être un coup marketing s’est transformé en bad buzz monumental, alimenté par des scandales successifs. Sur les réseaux sociaux, la sanction a été immédiate : images détournées, appels au boycott, hashtags assassins. La toile ne pardonne rien, surtout quand on touche à des sujets sensibles. Reste à voir si Shein parviendra à attirer malgré tout sa clientèle dans les rayons du BHV et à tourner la page de cette crise. Une chose est sûre : “Paris vaut bien une messe”, mais Shein au BHV valait-il ce buzz ? Le débat, lui, est loin d’être clos en ligne.




