Pornhub invite le sexe à Noël avec sa nouvelle campagne de merchandising

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Sous ses airs transgressifs et progressistes de libération de la parole autour du sexe et de la pornographie, cette campagne témoigne des représentations modernes d’une sexualité consumériste. Loin d’être révolutionnaire, cette démarche s’inscrit dans un mouvement général de sexualisation de l’espace public, au risque d’apparaitre comme… conservatrice.

Ça y est, le mois de décembre est arrivé, avec son lot de campagnes et autre produits calibrés pour les fêtes de fin d’année. Au programme : films de Noël, pubs de Noël, décorations de Noël, et cette question qui court sur toutes les lèvres : qui va sauver Noël après cette année compliquée ? Pour Disney et Coca-Cola, ce sera la famille et la tradition ; pour Amazon, un réseau de distribution efficace et fondé sur l’exploitation d’un nouveau type de travailleurs précaires ; et pour Pornhub ce sera – sans surprises – la masturbation. Le site internet, acteur majeur de l’industrie du sexe et 10ème site le plus visité au monde, a donc lancé une gamme de produits pour les fêtes : pulls, bonnets, écharpes, tout un attirail pour vous protéger du grand froid et du bon goût, allant même jusqu’à la boule de Noël estampillée « Pornhub » pour pimenter votre sapin.

Ici l’effet comique – et potentiellement viral – provient évidemment de l’opposition entre l’esprit des fêtes et ses valeurs conservatrices (celles de la religion chrétienne, de la famille et des traditions), et le porno. Derrière la volonté comique se trouve donc un sous-texte politique progressiste : celui de briser le tabou autour de la sexualité et de la pornographie, et normaliser le dialogue sur le sexe dans l’espace public, dans une optique de « libération sexuelle ».

Transgressif donc ? Pas tant que ça. Ce n’est, en effet, pas la première fois que la naissance du petit Jésus subit une dérive érotique (essayez de taper “mère noël“ dans votre barre de recherche et vous verrez). Et pour cause : tout, dans notre société, prend un caractère sexuel, et ce n’est pas nouveau. Dans le domaine culturel, il est difficile de trouver des œuvres dénuées de tout érotisme, que ce soit dans le cinéma, la littérature, ou la musique. Même Bob l’éponge mate des films de cul (véridique : saison 2 épisode 1). De même dans la publicité, avec ce cliché persistant du « sexe qui fait vendre ». Le monde politique s’est également sexualisé, à la suite de plusieurs affaires (Monica Lewinsky, ou encore plus récemment le scandale autour de Benjamin Griveaux). Si bien que nous vivons dans ce que Michel Foucault appelait une « société de la perversion éclatante et éclatée » : une société obsédée par le sexe. Dans ce cadre, nos boules de Noël Pornhub ne transgressent pas l’ordre établi, puisqu’elles en émanent.

Nous sommes donc passés d’une autorité puritaine, qui exerçait son pouvoir en censurant et réprimant la sexualité, au nom d’une morale souvent religieuse, à une autorité nouvelle qui, à l’inverse, exerce son pouvoir en produisant du sexe, et en organisant sa diffusion massive dans l’espace public. Ainsi, contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette abondance de contenus érotiques ne signifie pas une émancipation d’un ordre oppressif précédent, mais une soumission à un ordre d’un genre nouveau, qui exerce son pouvoir par la prolifération des perversions (ce que Foucault appelle « l’implantation perverse »), et qui se donne ensuite comme libération.

Dans notre « société perverse », le sexe devient un produit de consommation. Une fois récupéré par un système capitaliste qui l’instrumentalise, il perd toute valeur symbolique et devient un objet interchangeable. Jean Baudrillard, dans La Société de Consommation, explique que tout ce qui est donné à consommer comporte un aspect sexuel, et que, dans le même temps, la sexualité elle-même est consommée, c’est-à-dire normalisée et détournée de sa nature originelle. Cette sexualité consumériste n’est pas une fin en soi, elle est avant tout un moyen de différenciation et de prestige social. D’ailleurs, elle est déterminée, avant tout, par son caractère ostentatoire : on se plait à arborer notre vie sexuelle, raconter nos aventures et autres coups d’un soir, parfois même publiquement sur les réseaux sociaux. Elle sort donc de l’intimité des individus pour être constamment extériorisée par un ensemble de signes, allant de la simple écharpe Pornhub, jusqu’à des comportements plus explicites, comme la pratique amatrice de la pornographie, dans le cadre de ce qu’on appelle le « Porn 2.0 ».

Cette représentation particulière du sexe, aujourd’hui largement répandue, va permettre l’exercice d’un certain type de pouvoir sur le corps des individus. En effet, cette entrée de la logique marchande dans la sphère intime va, évidemment, avoir pour but d’orienter des conduites de consommation. L’heure est donc à une pratique sexuelle suivant une morale hédoniste, où coucher est devenu synonyme de consommer. C’est la culture de Tinder, du « single not sorry », ou du hookup : autant d’éléments qui signifient un passage du sexe libéré au sexe libéral.

Pour pousser l’analyse (ou la branlette intellectuelle…) un peu plus loin, on pourrait questionner la portée de ces représentations en termes de contrôle social. Dans Le Meilleur des Mondes, Aldous Huxley dépeint une société ou les individus sont conditionnés à une pratique sexuelle libertine, dans le but de les endormir politiquement, et ainsi d’éviter toute forme de révolte. Cette sexualité consumériste serait-elle une nouvelle forme d’opium du peuple ? On vous laisse vous faire votre opinion. Par contre n’oubliez pas : protégez-vous, et jamais sans consentement !

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Renaud Coron

Etudiant en L3 à l'Université Paris Nanterre, je m'intéresse particulièrement à la communication, notamment l'impact social des campagnes marketing.
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