On a tous ce réflexe pavlovien depuis une décennie : on écoute un titre en boucle sur sa plateforme de streaming préférée, puis on bascule sur une autre application pour aller voir le clip.
Cette petite friction numérique, ce saut de puce entre l’audio et la vidéo, est sur le point de disparaître pour une grande partie des utilisateurs. Après avoir conquis près de 100 marchés l’année dernière, Spotify s’attaque enfin au boss final : le marché nord-américain. C’est officiel, les abonnés Premium aux États-Unis et au Canada peuvent désormais regarder les clips de leurs artistes favoris directement dans l’appli. Et croyez-moi, ce n’est pas un simple gadget, c’est une déclaration de guerre aux géants de la vidéo.
La fin du monopole de l’attention
C’était l’arlésienne du streaming musical outre-Atlantique. Si la fonctionnalité était déjà disponible ailleurs, un imbroglio juridique bloquait son déploiement sur le sol américain. Ce verrou vient de sauter grâce à un accord stratégique avec la National Music Publishers’ Association (NMPA). Ce deal change tout, car il permet à la firme suédoise de venir chasser sur les terres gardées jalousement par YouTube et, plus récemment, par TikTok.
L’expérience utilisateur (UX) a été pensée pour être la plus fluide possible, loin de la lourdeur de certaines interfaces vidéo. Une simple option « Switch to video » apparaît sur l’écran. En un clic, la pochette de l’album laisse place au clip officiel, qui reprend exactement là où la piste audio s’était arrêtée. Vous voulez repasser l’application en arrière-plan ? Un geste suffit pour revenir à l’audio pur.
Disponible sur mobile, desktop et TV, cette fonctionnalité vise à garder l’utilisateur captif. Pour le lancement, le catalogue reste curaté avec des têtes d’affiche comme Ariana Grande, Addison Rae ou BABYMONSTER, mais la promesse est d’étoffer l’offre très rapidement. L’objectif est clair : transformer Spotify en une destination unique pour l’entertainment musical.

La vidéo : un booster d’engagement dopé aux statistiques
Pourquoi Spotify s’embête-t-il avec la vidéo alors que l’audio se porte bien ? La réponse tient en un mot : l’engagement. Dans une économie de l’attention saturée, retenir l’utilisateur quelques minutes de plus vaut de l’or. Et les chiffres dévoilés par l’entreprise sont éloquents. Une étude menée par Burson entre août et octobre 2025 révèle que 70% des utilisateurs estiment que la vidéo améliorerait leur expérience.
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Mais c’est du côté des artistes que l’argument frappe fort. Les données internes montrent qu’un utilisateur qui découvre un titre puis regarde son clip sur la plateforme est 34% plus susceptible de le réécouter la semaine suivante. Mieux encore, il est 24% plus enclin à le partager ou le sauvegarder. Pour les « super listeners », ces fans ultra-engagés, le visionnage d’un clip entraîne une hausse de 85% des streams de l’artiste le mois suivant.
La vidéo n’est donc pas qu’une vitrine esthétique, c’est un levier de conversion massif pour la plateforme qui vient tout juste de sortir son célèbre Wrapped, engageant plus de 200 millions de personnes en 24 heures.
Une mutation profonde vers la « Super App » culturelle
Cette nouveauté ne débarque pas par hasard. Elle s’inscrit dans une séquence de transformation majeure pour l’entreprise. Après avoir annoncé l’arrivée de résumés de livres générés par IA le mois dernier et consolidé sa position sur les podcasts et les livres audio, Spotify cherche à devenir indispensable. En intégrant les clips, la marque comble son dernier grand point faible face à la concurrence.
Ce mouvement stratégique intervient aussi à un moment charnière en interne. La gouvernance évolue avec Daniel Ek, le fondateur emblématique, qui prépare sa transition vers le rôle de président exécutif. Cette réorganisation au sommet, couplée à ces lancements produits agressifs, montre que 2025 est une année pivot. La frontière entre plateforme d’écoute et média vidéo s’efface.
Pour les marketeurs et les artistes, cela signifie que la stratégie de lancement d’un titre devra désormais penser l’audio et le visuel au même endroit, au même moment. Reste à voir si les utilisateurs abandonneront leur vieux réflexe d’aller sur YouTube, mais avec une intégration aussi fluide, le pari semble bien engagé.
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