Pourquoi le monde perd ses couleurs… et devient gris ?

hero color then and now

Des logos réduits à leur plus simple expression, des interfaces noir et blanc, des smartphones déclinés en « gris sidéral », des immeubles tout de béton, de verre et d’acier…

Pas de doute : le monde semble avoir perdu un peu de ses couleurs. Ce constat est loin d’être une impression. De nombreuses études, industries et observateurs notent une véritable tendance vers le monochrome et les palettes neutres.

Ce n’est pas un simple effet de style ou un choix esthétique isolé. C’est une dynamique transversale qui touche la mode, l’automobile, l’architecture, la tech, la publicité, le design d’interface. Une forme de désaturation volontaire qui semble dire quelque chose de plus profond sur notre rapport au temps, à l’efficacité, à la modernité.

Mais pourquoi ce retour au noir, blanc et gris ? Que dit-il de notre époque ? Et quelles conséquences pour les designers et les communicants ?

La généralisation du neutre dans tous les secteurs

La perte de couleur n’est pas qu’un ressenti visuel ou une lubie de designer. Elle est mesurable, documentée, et surtout, elle touche pratiquement tous les pans de notre environnement visuel. Depuis plus d’un siècle, notre monde se désature progressivement, que ce soit dans nos objets du quotidien, notre façon de nous habiller, les produits que nous achetons ou les lieux que nous fréquentons.

En 2020, le Science Museum Group (UK) a mené une analyse sur plus de 7 000 objets de consommation datant de 1800 à aujourd’hui. Leurs conclusions sont sans appel : à partir de 1900, les teintes vives cèdent progressivement la place à des tons grisâtres, ternes et neutres. Cette mutation chromatique traverse les décennies et se retrouve dans différents secteurs industriels :

  • Automobile : selon Axalta et PPG Industries, plus de 75 % des voitures vendues dans le monde sont blanches, noires ou grises. Le blanc est n°1 depuis plusieurs années.

  • Tech : les iPhones, iPads ou MacBooks d’Apple s’habillent rarement de couleurs vives. L’esthétique « space gray » ou « silver » est devenue une norme.
  • Mode : les pièces incontournables du dressing (costumes, robes, baskets, manteaux) sont souvent en noir ou blanc. Un choix perçu comme élégant, intemporel et sûr.
  • Architecture : le minimalisme moderne a fait place à une architecture dominée par le gris du béton, le blanc des façades et le noir des menuiseries. Fini les briques rouges, les volets verts ou les enseignes multicolores.

Une esthétique au service de l’efficacité

Pourquoi ce glissement vers le neutre s’est-il autant imposé ? Au-delà du simple goût ou de la mode, cette tendance révèle une transformation profonde de nos priorités collectives. Dans un monde obsédé par la productivité, la vitesse et l’efficacité, la couleur devient presque superflue. Elle est perçue comme une distraction, un surplus, un choix qui pourrait nuire à la clarté ou à la rentabilité.

Ce regard rationnel sur le design rejoint la théorie de la « McDonaldisation » développée par le sociologue George Ritzer. Il décrit la société moderne selon quatre principes : efficacité, calculabilité, prévisibilité et contrôle. Dans ce cadre, l’esthétique se standardise, les aspérités disparaissent, et la couleur devient une variable dérisquée. Elle est souvent évacuée au profit d’une neutralité supposée universelle.

La modernité s’incarne dans le fonctionnel, le répliquable, le sobre. Le monochrome rassure : il ne divise pas, ne distrait pas. Il s’adapte à tous les marchés. Ce qui explique sa prédominance dans les interfaces de productivité (Notion, Todoist…), les outils SaaS ou même les réseaux sociaux.

D’un point de vue UX, les contrastes noir/blanc offrent aussi la meilleure lisibilité. La simplification visuelle devient une clé de confort, d’efficacité cognitive, voire d’inclusivité pour les utilisateurs en situation de handicap visuel.

Une conséquence de la globalisation culturelle

Si l’esthétique neutre s’impose aussi largement, c’est également parce qu’elle s’inscrit dans un mouvement plus vaste : celui de la mondialisation des standards visuels. Dans un monde de marques globales, de plateformes uniformisées et de villes qui se ressemblent de plus en plus, l’idée même de diversité visuelle semble s’étioler.

Ce « monde en gris » est analysé par le théoricien John Tomlinson sous le terme d’impérialisme culturel. Il décrit comment certaines valeurs esthétiques, nées en Occident, se sont diffusées au point de devenir des références mondiales. Le minimalisme, la neutralité, l’épure sont aujourd’hui perçus comme modernes, fonctionnels, professionnels… mais aussi comme universels. Un design « sans couleur » devient un raccourci visuel de modernité.

Dans le retail, l’urbanisme ou la publicité, on retrouve cette logique : même typographie, même palette, même mobilier dans les aéroports, les bureaux, les boutiques. Un monde où le design devient global mais perd en saveur locale.

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Le défi créatif : se distinguer dans un monde désaturé

Face à cette hégémonie des palettes neutres, une question cruciale se pose pour les créatifs, les designers, les publicitaires : comment être visible, identifiable et mémorables quand tout adopte les mêmes codes ? Dans un univers où la sobriété est la norme, se distinguer demande de repenser les leviers traditionnels de l’impact visuel. Si la couleur devient secondaire, il faut se réinventer dans les formes, les textures, les interactions.

Certains réagissent déjà. On voit apparaître des tendances « anti-minimalistes » : retour du brutalisme web, de la typographie expressive, des palettes plus saturées dans certaines campagnes mode ou culture.

Le cycle est peut-être en train de s’inverser. Comme souvent, le désintérêt pour une norme est le début de son effritement. Et si le retour des couleurs devenait le nouveau terrain de jeu des créatifs ?

En conclusion : moins de couleur, mais plus de questions

Ce glissement vers des teintes neutres n’est pas un simple effet de mode, mais bien le reflet d’un état d’esprit collectif. Il traduit nos priorités actuelles : la performance, l’optimisation, l’universalité. Mais cette désaturation visuelle soulève aussi une interrogation fondamentale : en cherchant la simplicité, ne sommes-nous pas en train d’appauvrir notre rapport au monde ?

Le monde est-il vraiment en train de devenir gris ? Peut-être temporairement. Le désir d’efficacité, de sobriété et d’universalité a été le moteur de ce mouvement, mais il pourrait aussi en être la limite. Car au-delà de la mode, les couleurs restent liées à nos émotions, nos cultures et nos mémoires.

Les marques, les designers, les architectes ont un rôle à jouer : celui de remettre de la nuance, de l’identité, et pourquoi pas… un peu de jaune, de rouge ou de vert dans notre quotidien visuel.

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