Alors que le monde de la publicité panique à l’idée d’un “moment Kodak” face à l’intelligence artificielle, Arthur Sadoun, patron du groupe Publicis, garde la tête froide.
Dans un entretien réalisé par nos confrères anglophones de The Drum et Adweek, il explique qu’il y voit surtout une opportunité de croissance concrète. En 2025, le groupe affiche une hausse organique de 5,7% au troisième trimestre, portée par la montée en puissance de ses produits et services propulsés par l’IA. Et contrairement à ses concurrents, Publicis ne fait pas de bruit. Il avance, chiffres à l’appui.
Une stratégie IA discrète mais diablement efficace
Pendant que WPP parle d’écosystème “Open” et qu’Omnicom mise sur “OmniAI”, Publicis a préféré travailler en silence. Son pari : investir massivement dans la donnée, la tech et la créativité. Résultat : 73% de son modèle opérationnel est désormais “AI-powered”, grâce à une combinaison redoutable entre Epsilon (données), Sapient (conseil technologique) et son infrastructure interne CoreAI.
Cette approche, construite depuis près d’une décennie, porte enfin ses fruits. Aux États-Unis, la croissance atteint +7,1%, au Royaume-Uni +10,7%, et même si l’Europe reste plus timide, la tendance est claire : l’IA n’est plus un buzzword chez Publicis, c’est un levier business. Le secret ? Des outils intégrés dans les offres existantes, comme Leona, la plateforme de production intelligente, ou Marcel, qui aide les 100 000 collaborateurs du groupe à collaborer et se former sur l’IA.
“Nos clients ont compris qu’ils n’ont plus besoin d’expérimentations gadgets”, explique Sadoun. “Ils veulent des résultats concrets. Et c’est là que notre IA fait la différence.”
L’IA comme moteur de croissance, pas comme menace
Contrairement aux craintes relayées par certains analystes, Publicis ne voit pas l’IA comme un outil de suppression d’emplois, mais comme un moteur de transformation. Le groupe mise sur le reskilling grâce à Marcel, son IA interne, pour redéployer ses talents plutôt que de les écarter. “Bien sûr, certains métiers vont évoluer, mais le meilleur moyen de préserver l’emploi, c’est de continuer à croître”, affirme Sadoun.
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Une vision optimiste, mais réaliste : selon Forrester, 15% des emplois en agence pourraient disparaître d’ici 2026 à cause de l’automatisation. Publicis, lui, mise sur l’inverse : plus d’efficacité, donc plus de business. Et les chiffres lui donnent raison. Les revenus issus de la branche média (60% du total) sont alimentés à 80% par des outils IA, et même la partie création (les agences comme Le Pub ou Leo Burnett) tire désormais un tiers de son chiffre d’affaires de solutions IA.
Pour Sadoun, le sujet n’est pas de produire “plus vite et moins cher”, mais plus pertinent et plus connecté : “Grâce à nos données, nous relions chaque création à la bonne audience, sur le bon canal. L’IA ne remplace pas les idées, elle les rend plus intelligentes.”
Publicis, l’agence la plus “humaine” de l’ère IA ?
Si le groupe s’impose aujourd’hui comme la première puissance mondiale en capitalisation boursière du secteur, c’est grâce à cette combinaison rare : une maîtrise technologique solide, sans sacrifier la créativité. “Je crois toujours qu’une grande idée peut changer le futur d’une marque”, martèle Sadoun. Et il le prouve : entre les gains de budgets colossaux (Coca-Cola, Mars, PayPal, Paramount) et la fidélité de ses clients historiques, Publicis affiche une santé insolente.
Face à la fusion Omnicom + IPG, qui devrait donner naissance à un géant à 25 milliards de dollars de revenus, Sadoun reste serein : “Nous avons déjà fait notre transformation. Aujourd’hui, on exécute, et on grandit.”
Derrière les chiffres et les algorithmes, Publicis envoie surtout un message à toute l’industrie : l’avenir des agences ne se joue pas contre l’IA, mais avec elle. Et si les machines apprennent vite, il semble que Publicis, lui, ait déjà pris une belle longueur d’avance.
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